ROME à L'ATELIER
Je l'admets, Rome compte beaucoup pour moi, même en Bresse. Du coup j'y retourne, à l'atelier, en pensée, en mélangeant sur les toiles thèmes déjà abordés mais repris, reconsidérés, ou thèmes nouveaux mais autour du support de la ruine, de la veduta, de la fouille archéologique.
Ci-dessous une illustration de ma persistante romanitude en quelques toiles :
Avant les notes sur les différents onglets du site, voici une nouvelle écrite en 2018. Vos commentaires bienvenus, toujours par e-mail : andrekasper@bluewin.ch
Dans l'Estuaire (sur le thème de l'îlot)50x80cm 2020 |
Etude (24x41) pour Chantier naval sur l'Appia (60x110cm) |
Etude 20x50 pour Haute mer en cuisine 40x100cm |
CHARLOTTE
KAISER
André Kasper
Ce jour-là, un dimanche, le soleil s'était montré vers 16h, un rai déjà oblique de fin d'automne avait emprunté l'une des portes-fenêtres du salon des Kaiser, côté parc, et était venu mourir aux pieds de Charlotte, sur le tapis berbère alors en vogue, blanc, gris et beige, moelleux.
« - Vois-tu, Marie-Lydia, j'aime mon cercle, mes vieux amis, ceux de Robert -tu les connais tous...et j'aime ces dimanches après-midi chez moi, le concert, il faut bien que le Steinway serve à quelque chose, une lecture, ou une conférence, le buffet, le parc quand il fait beau.
- Mais ça ne sert pas à grand'chose, même les divertissements deviennent ennuyeux, quand ils sont trop prévisibles. Quand Robert s'est lancé dans l'immobilier il en avait besoin, de ces contacts, de ces relations d'affaires, de ces négociations informelles du dimanche, acheter un immeuble entre deux petits fours, avec le piano pour couvrir les chiffres avec des notes. Mais de ce côté là ça fait un bout de temps qu'il n'a plus besoin du manoir, ni du dimanche, il expédie ses affaires au bureau.
- Et... ? Marie-Lydia connaissait Charlotte depuis de nombreuses années. Elle savait que l'exposé n'était pas terminé.
-
On vieillit, Marie-Lydia, même nous. Vieillir dans
ces dimanches, c'est un problème. Se rassir en tailleur Chanel en souriant comme des
iguanes devant un plateau de mignardises commandées chez Martel,
entre deux potins de village. Si au moins les dimanches au manoir
pouvaient servir Gwen-Alix comme en son temps Robert, que je me sente
utile, mais franchement je ne vois pas comment...
-
Les enfants, soupira Marie-Lydia, au moins tu as Victor-Alex à HEC,
il va nous faire un cursus en béton, comme son père. Tu sais moi
aussi, je peux dire que Helicia, quand elle a commencé la Haute
Ecole de Mode, Art et Design, comme ta fille un peu plus tard, je
pensais l'occuper quelques années avant le mariage, mais...
-hem,
tu veux dire que ta fille, tout comme la mienne, a son petit ego et
ne voulait pas faire autre chose qu'un métier créatif.... Pas de
problème, nous avons toujours fait des études supérieures, dans la
famille -enfin pas moi directement, les hommes de la maison.
Mais
ce qui me fait bien rire, et me choque en même temps, c'est le fruit
de ces trente glorieuses, notre génération a vu naître et grossir
cette masse de classe moyenne supérieure, qui envoie ses gosses dans
toutes les écoles. En plus ils ont tous biberonné les valeurs
post-modernes, ils veulent des jobs dans la pub, la télé, le
journalisme, l'art, la mode, ou les métiers intello-branchés.... Tu
penses bien que leurs soixante-huitards de parents ne leur ont pas
dit de rester prolos. La bonne société s'est faite manger ses
emplois, et on va dans le mur.... Tiens, rien que l'an passé, il est
sorti 40 éducateurs spécialisés de l'Institut d'Etudes Sociales et
un plombier du Cepta !
-
Oui je sais, tu me l'as déjà dit. Marie-Lydia croqua nonchalament
dans un bretzel, pensive. Les bobos ne possèdent pas cinquante
immeubles à Genève, sois tranquille. Ils te verseront même de plus
en plus d'argent pour les habiter -et c'est peut-être comme ça
qu'ils redeviendront prolos, comme tu dis, quand ils ne pourront plus
envoyer leurs enfants à l'uni. Tu sais que même si Gwen-Alix
attendait le mariage en sniffant de la coke et en clubbant comme une
bête, elle ne finira jamais dans le caniveau... C'est pareil pour
Helicia, les rentes sont confortables.
-
Bien sûr, fit Charlotte l'oeil vague, mais j'aimerais bien qu'elle
réussisse quelque chose avant sa vie sérieuse, d'épouse, de mère.
Pourquoi pas artiste, puisqu'elle est dans cette école.
-
Tu sais, Charlotte, tout ce que tu viens de dire... Robert a bien une
belle arcade commerciale de libre dans une rue branchée ?
-
Tout ce que tu veux, ma chère Marie-Lydia.
-
Ouvres une galerie d'art contemporain ! Tu passeras un peu de
temps en ville, ça te changera du manoir, hein, c'est chic de
changer d'air. On travaillera ensemble : on exposera Gwen-Alix
et Helicia, et leurs connaissances de l'école. C'est un joli
passe-temps, et ça te pose là, tout le monde sait que tu as une
grosse force de frappe, par ici. On pourra même y aller le dimanche,
si tu redoutes les routines au Steinway.
-
Mais tu es folle, je n'y connais rien, à l'art contemporain.
-
Personne n'y connait rien, il n'y a pas de diplôme, ce qu'il faut
c'est des relations, des vraies - Marie-Lydia s'accompagna d'un
geste, comme si elle soupesait un paquet de läckerli- aimer le
contact.
-
Ah, pour ça pas de problème, j'adorerais.
-
Et le reste viendra tout seul. De toute façon, tu ne pourras pas te
tromper, l'art contemporain c'est le domaine de l'audace : tout
est possible, dans un cadre bien défini que je t'expliquerai
facilement. Tu ne risques pas d'expertise, tu n'auras pas à te
prononcer sur la qualité des oeuvres, sitôt qu'un artiste a du
métier, tu refuses : c'était bon pour nos grands parents, les
choses bien faites, la compétence, c'est le 19ème siècle, notre
partie c'est le coup de coeur, l'intention forte, la belle posture...
On va pas faire histoire de l'art, on ne regarde que devant, à
l'avant-garde !
-
hem, tu t'emballes, Marie-Lydia, j'y pige que pouic, mais enfin ça
ne coûte rien d'essayer, on se prend une arcade à la rue des Nains
et hardi petites ! »
Deux
ans ont passé, la galeriste d'art contemporain Charlotte Kaiser est
une incontournable du circuit local. Quand les jeunes plasticiens qui
achèvent leurs études entament la tournée des galeries qui
assureront leur carrière, la sienne est en bonne place dans leur
organigramme. N'a-t-elle pas lancé Gwen-Accent (prononcer à
l'anglaise), Hell-Ice 4 (toujours à l'anglaise) et d'autres jeunes
talents prometteurs ?
Charlotte
est enchantée, cette expérience lui fait une nouvelle vie. Quand
certaines questions sont trop compliquées, la presse trop
spécialisée, c'est Marie-Lydia qui s'en occupe, avec un bel aplomb.
A
un moment Robert, qui est de la vieille école, s'était montré
sarcastique sur ses frais de représentation, il avait comparé la
marotte de Charlotte à la danseuse de Napoléon III.
« –
C'est d'un goût, vraiment, quand on pense que j'ai lancé ta fille,
que c'est une artiste !
-
Je risque pas de l'oublier, c'est moi qui ai acheté ses oeuvres,
comme tu dis, du coup on peut même pas les exposer, ça se saurait,
note que dans un sens c'est pas plus mal, manquerait plus que d'avoir
des oeuvres, comme tu dis, chez nous.
- Tu
es méchant, tu es un jaloux, toi dès qu'on sort des chiffres...
-
Ah mais on n'en est pas tellement sortis, avec ta lubie... »
Bref, il s'agissait de clouer le
bec à Robert, qui se permettait également d'autres commentaires, et
Marie-Lydia trouva la solution :
« parmi
les jeunes plasticiens, il y a fatalement de la progéniture de bonne
souche. Un artiste qui marche, c'est un artiste qui vend. Ça, tout
le monde le sait, et une vente se sait fort rapidement. Persuadons le
milieu aisé, les parents, la famille, que l'on connait, soit
Charlotte, soit moi, que le rejeton est plasticien de génie, qu'il
s'agit de lancer le mouvement, de fixer sa cote par de bons achats
bien répercutés – les chambres d'écho ne manquent pas dans ce
secteur, l'argent dépensé ne risque pas les oubliettes. On ne va
pas perdre son temps avec des enfants de paria, d'autant que tous les
plasticiens font peu ou prou la même chose et que la valeur ne vient
justement que de l'achat et de la vente ».
Charlotte continua de recevoir
le plus de jeunes possibles, c'était son bain de jouvence, elle
minaudait devant les plus mignons, jouait la grande soeur des jeunes
filles, mais Marie-Lydia sélectionnait les papables pour les
expositions. Chaque année fournissait un lot de plasticiens
accomplis déversé par l'école (la Haute Ecole de Mode, Art et
Design), autant de garçons que de filles qui espéraient échapper
le plus longtemps possible au monde du travail et à ses contraintes
majeures.
Et
l'argent circula amplement Rue des Nains, et le bec de Robert fut
cloué. Les sommes investies firent de Charlotte une grande
galeriste, une experte, une prêtresse de l'art contemporain et elle
s'amusait comme une folle.
La
galerie Charlotte Kaiser était un rez de chaussée sur entresol du
début du 19ème siècle, de plusieurs pièces spacieuses avec
cheminées, parquets de noyer, boiseries sculptées, panneaux à
grand cadre, moulures, rosaces, dont Robert avait obtenu l'accès
direct depuis la rue en perçant la façade, en élargissant le
trottoir, pour y poser un gros escalier habilement rouillé et comme
tiré d'une friche industrielle. Toute la galerie, du sol au plafond,
cheminées de marbre comprises, était peint à la dispersion
blanche, comme c'est de règle dans l'art contemporain, repeint avant
chaque vernissage, un coup de rouleau comme un caprice enfantin, pour
se croire partir de zéro à chaque événement, et ce dispositif
s'appelle une white-box, en anglais parce que l'art contemporain est
une invention américaine. D'ailleurs presque tout ce qui se
proclame contemporain s'intitule en anglais, en danse comme en
matière plastique. Ce qui donne des affiches du genre Jean-Marcel
Bochatey, One Step Beyond The Tracks, Galerie Gros, 26 Rue des Nains.
2-19 March.
« -
Regarde, Marie-Lydia, non mais regarde comment je suis fringuée,
s'exclama Charlotte au milieu de sa white-box. Je serais restée à
Vandoeuvres, je ressemblerais à une rombière avec ses gâteaux secs
et son verre de Porto, « comme il faut » dans notre
miyeu. Au lieu de ça, je peux tout. Non mais regarde comment
je suis fringuée : des boucles d'oreille fluo, une minijupe en
cuir, des bottes blanches à talon haut, un Boléro Gucci, il y a au
moins une année que j'ai pas mis une culotte, j'en passe, que j'aie
cinq mille balles de fringues sur le dos, c'est pas le problème,
mais à soixante balais je pourrais avoir l'air d'une demi-pute sur
la déglingue, au lieu de quoi je suis galeriste, ça n'a pas d'âge,
et c'est libre ! Et mes cheveux oranges, t'imagines, à
Vandoeuvres ? De toute façon je n'y passe plus qu'en voiture ».
Pendant ce temps, Tommaso L.,
milanais de passage, et Giacomo B., genevois d'origine casertine, un
essayiste et un écrivain qui ne s'étaient pas revus depuis
longtemps, se saluèrent bruyamment, échangèrent les propos d'usage
sur la santé, la famille, les projets, puis réalisèrent qu'ils se
trouvaient au pied de l'escalier de la Galerie Charlotte Kaiser,
échangèrent un sourire de connivence.
- C'est là que tu vas, tu
connais Charlotte Kaiser ? demanda Giacomo du haut de ses deux
mètres, avec ses mains comme des pelles à pizza, l'oeil malicieux.
Tommaso, petit, le visage sec, la boule à zéro, répondit d'abord
d'un sourire jusqu'aux oreilles, puis :
- Non,
je ne vais pas là, mais je connais ! il y en a des centaines,
de Charlotte Kaiser, dans le monde, plantées dans leur white-box,
qui se croient vivre comme Marilyn, sur la crête de l'événement,
dans le trend, pour mourir comme Marilyn, mais à 87 ans.
- On peut en rire, mais pas trop
fort, nous non plus on n'a plus l'âge de Marilyn.
- Soyons indulgents, cette cure
de jouvence leur coûte plus qu'elle ne rapporte, en général...
Fit Giacomo. Tommaso pointa un doigt au ciel :
- et
les galeristes la partagent avec les acheteurs des oeuvres, qui
s'offrent
de la jeunesse, leur propre jeunesse non vécue de young
urban people,
de rebelles étudiants. Cette chapelle toute blanche et enfantine
qu'est la white-box, une promesse d'éternité... Voilà ce qui
rassemble une certaine catégorie de personnes, bien plus que
d'hypothétiques plus-values.
- Tommaso, tu n'as pas changé,
tu parles toujours comme un livre !
Nos
deux amis, pour sacrifier au rite du café, traversèrent la route,
entrèrent dans la brasserie L'Audacieux. En terrasse, deux tables
rapprochées était occupées par des étudiants de la Hemad, dont
Gwen-Alix et Hélicia. S'ils l'avaient aperçue, ils auraient sans
doute comparé cette tablée à des milliers d'autres, distribuées
dans les pays riches autour des écoles d'art, avec leurs plasticiens
faciles à reconnaître, à quelque signe distinctif, par exemple un
cartable en matériaux de récupération.
Hélicia,
les yeux agrandis, les mains sur les cuisses, se pencha un peu en
avant pour annoncer au groupe, le timbre voilé :
- Vous savez que Jean-Ed a
arrêté ? Les autres se turent, la dévisagèrent.
- Comment ça, il a arrêté...
- Il pouvait plus toucher la
bourse Pollex, au cantonal il avait touché pas mal, il avait plus
l'âge pour la Pissignol.
- Eh oui, c'est vrai, la
Pissignol c'est 28 ans max.
- Et la Fédérale, il l'avait
eue trois fois, c'est le max. Et le fonds cantonal, il venait
d'apprendre qu'il ne l'aurait plus. Idem les banques privées.
- C'était tout bloqué quoi, il
était arrivé en bout de réseau...
Il
y eut un silence, chacun pouvait songer à ce cul-de-sac qui
l'attendait sauf foire de Bâle, Miami, Hong-Kong, New-York, la
chance de coulisser vers un autre réseau ...
- Et donc il a trouvé un boulot,
à temps partiel, mais quand même...
Un
frisson parcourut l'assemblée, puis une minute de silence. Gwen-Alix
regarda tour à tour ses contemporains, dont elle partageait
l'angoisse, comme elle partageait tout avec Hélicia, ses amis et
amies de l'Hemad, depuis ses 16 ans. Elle avait couché avec deux des
attablés du jour, pas mal d'autres de l'école, à peu près les
mêmes qu'Hélicia. Ensemble pour les fêtes, les nuits blanches, les
virées, on se passait les livres, les films, les revues, on
partageait tout.
- Jean-Ed, c'était comme un
frère, comme vous tous d'ailleurs, dit Alexia, merde alors, tombé
au champ d'honneur...
- Et pourtant on s'en doute,
qu'on a à peu près autant de chances qu'à la loterie de tenir
plus longtemps que lui...fit Jean-Gab en secouant la tête.- Tu n'as pas le droit de dire ça, s'exclama Jessa, il faut y croire, sinon on n'est plus soudés.
Il
y eut un court silence.
- Au fait, vous avez su ce qui
est arrivé à Goric, comme on l'a accusé de mépriser le foot,
avec son installation au Macmol, n'importe quoi !
- Ouais on en a déjà parlé
hier mais t'étais pas là. C'est vrai que c'est dingue, c'est comme
si on l'accusait de racisme, de pédophilie, de se foutre de la
gueule des obèses ou des femmes, tu verrais, toi, un plasticien
faire ça ?
- S'il a été mal compris c'est
que les médias ont pas pigé la blague, le second degré, quoi. Et
ils en ont profité pour se poser en défenseurs de la chose
populaire.
- On se fout de quoi en fait,
sérieusement ? À part des catholiques, je vois pas...
Et des bourgeois, quand même,
hein.
- Ah ben, obligé. La réplique
provoqua un rire de soulagement.
Charlotte n'est pas très en
forme, ces derniers temps. Nauséeuse, elle perd du poids, ce qui la
rendait très tendance dans un premier temps, mais lui donne
maintenant un air grave, sérieux, presque funèbre. Elle n'a jamais
couru les rétrospectives mais désormais c'est tout l'art
contemporain de plus de six mois qui lui paraît trop vieux et
qu'elle s'empresse d'oublier, comme si l'exercice de sa mémoire
allait causer sa perte, l'entraîner au fond du trou. Elle a le
cheveu blond platine organisé en vagues souples, elle s'habille de
noir avec une longue cape que l'on remarque de loin dans la rue des
Nains et fredonne une chanson d'Alphaville,
des années 80, sans y prendre garde, machinalement : forever
young, I want to be forever young.
La Seule Maison, juin 2018
ONGLET NUS
La pudeur, la décence
En
peinture, la notion de décence ou d'indécence dans la nudité ne
tient pas à la représentation d'une partie spécifique du corps,
mais au statut du modèle - le modèle féminin, en l’occurrence,
puisque c'est celui que je peins. Quand son corps est utilisé à des
fins décoratives, la femme est réduite à un statut de potiche.
Dans ce cas, un rameau d'olivier qui pousse opportunément devant son
entrejambe n'y change rien. Une description très détaillée du sexe
n’est pas érotique, car elle lui confère sa proportion et son
intégralité: s’il n’y a rien à compléter, il n’y a pas
d’espace intime pour le spectateur, seulement la chair, toute la
chair. Plus rien à conquérir, pour l'imagination.
Dénué
d’érotisme, émancipé, le modèle apparaît alors dans son
contour indépendant et fini.
Quand
un tableau, au-delà de sa part décorative, fait sens, il n'emploie
pas les figures sans raison. Le modèle y trouve alors un vrai rôle,
le statut d'une personne, sa dignité – son propre sens. Dès lors,
il peut se montrer dans toutes les postures imaginables.
Si
l'on sort d'un schéma moral plus souvent hérité que choisi, plus
religieux que civil, on admet qu'il n'y a pas de parties honteuses,
que le corps est continu, des pieds à la tête. Paradoxalement, la
morale privilégie la nudité sans la personnalité, sans le
caractère, elle préfère la femme-objet. Sa façon d'acheminer le
nu vers la statue, parfaitement lisse et harmonieuse, conduit la
morale à quantifier la décence au nombre de poils pubiens, à
l'écartement des cuisses. Et c'est là qu'elle cherche le sujet du
tableau.
Un
corps de statue appartient à tout le monde, à personne. Ajoutez-y,
par exemple, un grain de beauté: vous vous exposerez à ce que l'on
ne parle plus que de lui, au détriment de l'ensemble du tableau.
Cependant, ce petit détail a suffi pour qu'une fesse de femme
devienne la fesse d'une certaine femme. Ce grain de beauté signale
au spectateur qu'il accède à un cadre intime.
Texte tiré de la monographie "Ouarning, peinture fraîche et résistante" page 66